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07.05.2025

Savoir | Tips

« La qualité la plus importe qu’un chercheur peut avoir est d’avoir une très grande résistance à la frustration. »

« Quand j’étais au collège, mon professeur de mathématiques nous avait parlé des différentes tailles de l’infini, et je m’étais dit que je voudrais vraiment comprendre tout cela un jour. » Quelques années plus tard, David Cimasoni ne s’est pas seulement contenté de comprendre ce concept, mais seulement quelques semaines après avoir commencé sa thèse de master, il a résolu un problème d’une manière que son directeur pensait impossible. Encore incertain quant à une carrière dans la recherche, il a décidé de tenter sa chance — et cela en a bien valu la peine. Aujourd’hui maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève, ses recherches portent principalement sur la théorie des nœuds et la physique mathématique. Dans une interview menée par les bénévoles des Olympiades da la science Yuta Mikhalkin et Tanish Patil, il partage ses expériences et avis en tant que chercheur.

« La théorie des nœuds est très intuitive et agréable à expliquer. On prend une corde, on noue ses extrémités ensemble et on étudie les différents nœuds qu’elle peut former : certains sont triviaux, d’autres sont équivalents entre eux » — explique-t-il, sous-entendant que certains nœuds peuvent être défaits ou transformés en d’autres. « Au final, une fois qu’on formalise tout cela, il s’agit d’une question topologique qui implique ce qu’on appelle un invariant — un objet mathématique associé à chaque nœud qui a l’importante propriété de ne pas changer lorsque le nœud est déformé. Ainsi, on peut démontrer que deux nœuds ne sont pas équivalents si l’on montre que leurs invariants ne sont pas égaux. La meilleure partie c’est que la définition de ces invariants peut faire appel à des techniques provenant de pratiquement n’importe quel domaine des mathématiques. »

La théorie des nœuds est très intuitive et agréable à expliquer. On prend une corde, on noue ses extrémités ensemble et on étudie les différents nœuds qu’elle peut former.

Comme son nom l’indique, la physique mathématique est la branche qui étudie les modèles mathématiques derrière les lois et phénomènes physiques. L’un des modèles sur lesquels David Cimasoni travaille actuellement s’appelle en anglais « the dimer model ». Selon ce modèle, si l’on considère un graphe et une sélection d’arêtes telle que chaque sommet n’est recouvert que par une arête, on parle d’un « appariement parfait ». Il s’agit alors de trouver ces appariements parfaits et des méthodes pour les compter : par exemple, si un graphe peut être plongé dans un plan, il existe un moyen efficace de les dénombrer. Pour des graphes plus généraux, on peut utiliser des outils issus de la théorie des nœuds, ce qui suscite particulièrement l’intérêt de David Cimasoni.

Le domaine de recherche de David Cimasoni n’intéresse pas uniquement les mathématiciens : il mentionne par exemple que la théorie des nœuds est également d’importance pour la biologie moléculaire, car elle permet de mieux comprendre le comportement des molécules de l’ADN, leurs interactions, ainsi que l’action de certaines enzymes sur les molécules. Il a personnellement collaboré avec un physicien qui étudiait les signaux lumineux et la manière dont ceux-ci pouvaient former des nœuds, apportant ainsi une perspective mathématique à ces recherches. Il commente que l’intersection entre les mathématiques et d’autres disciplines ne concerne pas seulement le « quoi », mais surtout le « pourquoi » : « Un très bon ami à moi travaille aujourd’hui chez Google, et il essaie de réellement comprendre pourquoi les algorithmes qui font fonctionner l’intelligence artificielle marchent. On peut ajuster des paramètres pour améliorer les performances des modèles d’apprentissage automatique, mais comprendre les mathématiques qui sous-tendent ces décisions — visualiser ce que fait le modèle géométrique, comme une sorte de descente de gradient sur une variété qui cherche de bons minima locaux — est également une question essentielle. »

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Lorsqu’on pense à la recherche, on se dit souvent qu’il devrait être difficile de trouver des sujets sur lesquels travailler. David Cimasoni explique que c’est en réalité pas aussi compliqué — la plupart des idées de recherche viennent de la lecture des travaux d’autres chercheurs, où des questions ouvertes attendent presque toujours d’être explorées. Il arrive cependant qu’une autre personne publie la même idée pendant que l’on travaille encore dessus, ce qui est arrivé à David Cimasoni il n’y a pas si longtemps. Même s’il a tout de même réussi à publier son propre article sur le sujet, cela lui a fait réaliser à quel point l’on dépend du regard des autres pour ressentir un sentiment d’accomplissement.

À propos de l'auteur : Yuta Mikhalkin est bénévole dans la media team des Olympiades de la science  après y avoir elle-même participé. Elle étudie les mathématiques à l’Université de Genève.

Un autre aspect de la recherche, c’est que l’on travaille sur un sujet sans vraiment savoir dans quelle direction aller, ni même s’il existe une réponse à la question posée. Pire encore, toute une théorie que l’on a passée beaucoup de temps à développer peut soudainement s’effondrer. Personne n’est vraiment là pour vérifier que ce que l’on fait est correct — on est totalement livré à soi-même. « Il y a un an, un collègue et moi avons publié un article, et il y a deux mois, nous avons remarqué qu’il contenait en fait une erreur, et personne ne l’avait vue ! Nous avons donc dû écrire un e-mail à l’éditeur pour demander de l’enlever. Heureusement, l’erreur a maintenant été corrigée et les résultats principaux de l’article restent valides. »

Il y a un an, un collègue et moi avons publié un article, et il y a deux mois, nous avons remarqué qu’il contenait en fait une erreur, et personne ne l’avait vue ! Nous avons donc dû écrire un e-mail à l’éditeur pour demander de l’enlever. Heureusement, l’erreur a maintenant été corrigée et les résultats principaux de l’article restent valides. 

Et qu’en est-il de l’enseignement, la « pire partie » du métier de chercheur ? David Cimasoni enseigne principalement des cours de bachelor — souvent les moins désirés — mais il voit cela comme une partie importante dans sa carrière. Chaque fois qu’il se retrouve dans une impasse dans sa recherche — ce qui arrive inévitablement à tout chercheur — il trouve du réconfort dans l’enseignement, sachant que cela aura toujours de la valeur pour quelqu’un. En effet, très clairs et structurés, ses cours sont particulièrement captivants, et ses notes de cours sont largement utilisées et appréciées même pour des enseignements qu’il ne donne plus. Et contrairement à ce que certains pourraient penser, enseigner est loin d’être ennuyeux. « Il est extrêmement facile de transmettre l’art — il suffit de le regarder ou de l’écouter — mais transmettre les mathématiques, ce n’est pas pareil : c’est assez difficile et extrêmement intéressant. »

Lorsque David Cimasoni était étudiant, il a un jour lu, dans un journal de l’EPFL, une interview du professeur Manuel Ojanguren, à ce jour encore professeur à l’institution. Une phrase l’a particulièrement marqué, et il y pense encore aujourd’hui. « La question était : quelle est la qualité principale que doit avoir un chercheur ? Je pensais qu’il allait évidemment répondre qu’il faut être intelligent. Mais à la place il a dit quelque chose comme : Il faut avoir une très grande résistance à la frustration. Et à l’époque, je n’avais tout simplement pas compris ce qu’il voulait dire. »

La question était : quelle est la qualité principale que doit avoir un chercheur ? Je pensais qu’il allait évidemment répondre qu’il faut être intelligent. Mais à la place il a dit quelque chose comme : Il faut avoir une très grande résistance à la frustration. Et à l’époque, je n’avais tout simplement pas compris ce qu’il voulait dire.

Mais aujourd’hui, ces mots prennent tout leur sens pour lui. Pour reprendre ses propres termes : « En tant qu’étudiant, les exercices auxquels on est confronté sont facilement abordables, dans le sens où on est surs qu’ils ont une solution, et rarement sont-ils ouverts au point qu’on ne sache pas à quoi s’attendre comme réponse — on sait qu’il y en aura une. Dans une thèse de master, les questions deviennent un peu plus ouvertes, mais on est encore encadré par quelqu’un d’expérimenté, qui a une bonne idée de comment s’y prendre. En réelle recherche, c’est-à-dire à partir du doctorat ou après, il est beaucoup plus difficile de savoir si l’on va dans la bonne direction ! »

En réelle recherche, c’est-à-dire à partir du doctorat ou après, il est beaucoup plus difficile de savoir si l’on va dans la bonne direction !

Ce n’est donc pas tant une question d’intelligence. C’est plutôt une question de ténacité, de ne pas abandonner, et d’avoir la force mentale de se dire : « Je peux surmonter ça. » À de nombreuses reprises au cours de sa carrière, David Cimasoni a vu des personnes d’intelligence brillante, mais incapables de faire face aux problèmes de longue tenue. Au contraire, il remarque qu’il existe d’indénombrables exemples de personnes qui avaient peu de succès dans leur études, mais qui ont atteint les sommets des mathématiques grâce à leur persévérance et à leur travail acharné — l’exemple le plus célèbre étant celui de June Huh, lauréat de la Médaille Fields en 2022 (le prix le
plus prestigieux en mathématiques), qui avait été refusé par presque toutes les universités auxquelles il avait postulé pour un doctorat. Il n’en a obtenu un qu’à l’âge de 31 ans, mais il s’est révélé être un talent tardif et un mathématicien exceptionnel.

De manière générale, les mathématiques se trouvent aujourd’hui à un carrefour : les mathématiques appliquées bénéficient de financements de plus en plus importants, notamment grâce aux avancées récentes dans le domaine de l’intelligence artificielle, qui suscitent un vif intérêt extérieur. Pendant ce temps, les mathématiques pures, souvent plus abstraites et moins directement liées à des applications concrètes, peuvent parfois se retrouver mises de côté. David Cimasoni souligne que les étudiants qui s’inquiètent quant à l’idée d’étudier les mathématiques pures ne devraient pas craindre de passer à côté d’une carrière en recherche dans des entreprises comme Google ou Amazon. Bien sûr, un diplôme dans un domaine plus appliqué offre une voie plus directe, mais le chercheur fait remarquer qu’il connaît de nombreux collègues qui sont passés de la recherche académique à l’industrie. « J’ai par exemple un ami qui travaillait en géométrie symplectique et qui est maintenant chez Google. Les recruteurs dans ces entreprises sont assez intelligents pour savoir que si quelqu’un a un doctorat en mathématiques pures, il ne connaîtra probablement pas tout sur l’apprentissage automatique, mais qu’il pourra l’apprendre très rapidement. » Le conseil final de David Cimasoni à tout jeune mathématicien en herbe est simple : « Travaillez dur, faites ce que vous aimez, et n’abandonnez jamais ! »

Travaillez dur, faites ce que vous aimez, et n’abandonnez jamais !

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